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14 mai 2006

2152 Central Avenue

lorna_simpson

Les nuages frisottent au-dessus de la mer. Les étoiles ne scintillent plus. La lumière remplit tout. Blanche et aveuglante. Elle entre dans les yeux. Elle chauffe la peau. Les rues sont vides, les gens encore endormis. Contre les trottoirs les pick ups sont garés derrière les chevrolet, les chrysler, les opel, les BMW, les limousines noires comme à l'abandon, les ford, les SUV aux jantes brillantes. Les villas sont muettes, les journaux gisent sur les porches, les chiens affamés courent derrière les camions poubelles, en vain. Les fantômes de la nuit sont partis. L'alcool fond dans tes veines, sous ta peau brune. Tu tangues en marchant pieds nus, tes sandales à la main, tu imites quelqu'un, je ne sais qui, je suis trop loin, à la traîne, la tête prise dans les vapeurs de la nuit, partie, moi aussi, échappée, en deuil de ces heures dérobées au temps des horloges, comme un songe, comme une parenthèse qui se referme ici et maintenant. Je laisse ta silhouette floue, ondulante comme un ruban, disparaître dans le blanc qui se referme sur toi. Tu laisses, en écho, un rire fin, aussi léger qu'un souffle, une cicatrice sur la nuque, tu laisses, une ligne de vie brisée, dans son coeur à lui une écorchure, tu laisses, les phrases arrimées à ma bouche comme ton corps à leurs corps, tu laisses, les mélopées lointaines et les rivages sages, les traces évanouies de ta jeunesse, tu laisses, les larmes sèches, les boucles de tes cheveux coupées au ciseau électrique, sous ce crâne nu un cri qui ne s'arrête pas. J'entends le froissement de ta robe de soie, encore, j'entends la musique de tes mots impossibles, toujours, les promesses que tu leur lances, et je vois ta danse solitaire, le tournis, le malaise, ton corps plié en deux, les crevasses fines sur tes lèvres, et j'entends les sirènes longues, et je vois, le rouge et le blanc dans la nuit en transparence. Tes bracelets quittent tes poignets, tombent sur le sol, à côté de ses larmes à lui, et il ne dit rien, il s'approche, il baisse les yeux, il reçoit tes coups, tes gifles, et il leur demande, à eux, de se taire, et il leur demande de te laisser partir.

[La photographie est de l'artiste Lorna Simpson.]

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