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...LE RESTE...
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27 avril 2006

Cigarette

J'allume une cigarette. Ha! c'est bon. Je ne la fume pas. Je la laisse se consumer sur le bord du cendrier. J'ai l'impression que quelqu'un est à côté de moi. La fumée emplit l'air. Elle donne de la substance au vide. Elle va masquer la solitude. Servir de subterfuge. Parfois je tiens la Kool filter entre les dents, garde la bouche ouverte, la fumée y reste en suspens. Des nuages en miniatures, des poisons sur le coin des lèvres. J'oublie. Je sais mais je fais comme si j'ignorais que 'fumer peut entraîner une mort lente et douloureuse'. Vivre aussi, j'y songe en silence. Une bonne mesure de mauvaise foi...L'appartement est dans le bordel. Pas e n v i e de ranger, e n v i e de paresser, se vautrer sur le canapé, personne pour me pousser, personne pour me dire de bouger. Et puis même si... je ne ferais rien, j'allumerais toutes les cigarettes si je veux (il en reste trois dans le paquet), je les poserais dans le salon, dans la chambre, dans la cuisine, pareilles à des cierges horizontaux dont les cendres seraient des paillettes, des confettis d'une fête à l'envers. Je ferais une crèche avec le pack de lait vide, avec la poudre granuleuse de chocolat Benco je ferais le sable de l'étable, avec les restes de papier cadeau les habits de Joseph et Marie; il y aurait une boule de papier en guise du petit Jésus, papier velin, doux, à punaiser plus tard, après les miracles, après le Temple, après la Cène, après Judas...

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S'arrêter là parce que les mots ne viennent pas. Le claquage de l'écrivain sprinter. L'éjaculation précoce de l'inspiration. On observe. Je prends des notes sur ce qui vient d'être tapé. Ouais. (On dit pas ouais en littérature, si ou bien non?). Que casino. L'écriture indigne. Gribouillis. Où est le dictionnaire? Lister les adjectifs les plus négatifs. Punition. Les mâcher comme une feuille de coca et recracher par terre, tâche informe, oui. Se gratter les yeux, les ouvrir et voir la même chose. Ajuster mes lunettes, voir la même chose encore, mais mieux, en plus précis. Tenter l'érudition. Le style Restauration débute quand Napoléon I abdique en 1814 et que le ventripotent Comte de Provence rétablit une monarchie (constitutionnalisée). En 1825, le pouvoir échoit à son frère Charles X. Plus ça change moins ça change répètent les étrangers à l'envie quand ils parlent de la Frânce. Charles et Louis s'ennuyaient tous les deux. Les Rois sont des enfants capricieux. Bah. L'histoire a jugé selon la formule consacrée. La Restauration s'achève en 1830 par la dissolution de la chambre. Elle laisse des dettes, l'assassinat du Duc de Berry, un embryonnaire régime parlementaire, des lois sur la presse et un mobilier ennuyeux. Huit lignes dans Wikipédia. Bah.

Je fais un lance-boulettes avec un élastique. L'idée me vient d'organiser un championnat du monde de lancer de boulettes, avec arbitres, juges, et spectateurs payants. Des gymnases pleins à craquer, des foules trépignantes, des filles habillées en rose bonbon se trémoussant au son d'une musique désaccordée. Des équipes nationales de trois lanceurs. Des épreuves de vitesse, de distance, d'endurance enfin. Les médailles. Les drapeaux. Les mères qui pleurent dans les micros. Les pères fiers en silence. L'entraîneur bras levés vers le plafond, vers le ciel: "ha! quels sacrés gaillards! ha! on est fiers, proud, stoltz!". Madame la Présidente des Championnats du Monde un commentaire? Je suis très satisfaite de cette première. L'évènement fut difficile à mettre sur pied. Il y a eu des obstacles à surmonter. Il fallait être convaincant. La foule présente ce soir me prouve que j'avais raison de persévérer. C'est un grand jour. Merci, je n'ai rien à ajouter. Mon avion m'attend.

tamara_de_lampicka_1

Paupières lourdes. Télé hypnotique. Trop pressée de mettre le point final. Mon grand problème: la précipitation. Hein? La course est déjà finie? Comment? Je suis restée sur place? Ha? Bon. D'accord. Oui. Ok. Très bien. Je n'avais rien entendu. Vous aviez un pistolet, un sifflet, des cymbales? Je vous assure, monsieur, que j'avais les oreilles ouvertes et que je n'ai rien entendu. Puis-je recommencer? Je peux courir seule, c'est égal pour moi, je finirais première de toute façon. Je suis bien entendu très humble. Je me passerais du drapeau dont on voudrait me couvrir. Il est trop lourd à porter. La Frânce, allez la Frânce. Encore un tour de piste. Encore les photos. Encore les hourrah, les bravos, les hurlements en cadence, le crépitement des flashs. Une vieille berline noire viendra me prendre, je rentrerais dans ma villa des années 30 sur les hauteurs de la Riviera. Peignoir éponge, longue et fine cigarette, une blonde évidemment, and bring a drink dear, whisky on the rocks, call the captain too, I will board the yacht as soon as I have signed my will. Les portes se refermeront sur des chambres où la poussière se posera en squatteuse -j'ignore l'origine de ce mot-, le phonographe tournera dans le vide, le son craquant comme les bonbons de l'enfance. Une voix brisée s'entendra de loin en loin en écho à l'océan aperçu des baies vitrées ouvertes. Les rayons de soleil éclabousseront les terrasses où seront allongés des corps parfaits, visages couverts, peaux bronzées, paumes ouvertes. 

villa

Depuis les rochers de la baie, on verra des hommes plonger pour moi, défiant les lois de la gravité ils sembleront un instant planer, puis leurs longues silhouettes de statues grecques s'enfonceront dans l'eau bleue opalescente, torpilles humaines explosant dans une gerbe de gouttes transparentes. Un vieux maître d'hôtel, voûté de tristesse, se tiendra près du portail. On ne verra que son dos, pas son visage, pas ses larmes, pas ses yeux vides, pas ses mains qui tremblent alors que la magistrale Buick cabriolet nous emportera, moi et ma mélancolie, vers les pays désertiques où je ferais une course sur le sable.

...

Le rêve est fini. La cigarette est éteinte. Adieu Louis, adieu Charles, adieu vos fauteuils et vos airs tragiques, adieu Buick, piste grise, rochers et falaises, adieu mélancolie, il est minuit...

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