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...LE RESTE...
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20 mars 2006

Africa

Le réveil a sonné tôt. Lentement je me suis levée au son des nouvelles de l'arbre à palabres de Port-Gentil. Derrière moi, derrière la fenêtre sans rideaux, le soleil apparaissait timidement. L'herbe épaisse était encore mouillée de rosée quand j'y ai posé mes pieds, tenant dans la main un cori, le faisant jouer dans ma paume, sentant sa douceur un peu rugueuse et les minuscules grains de sable incrustés à jamais sur sa surface.

Sous ma voûte plantaire je sentais la terre noire bouger. J'ai tourné la tête un peu pour voir la silhouette de ma mère à travers les stores de la cuisine. Assise à la table, elle semblait faire corps avec le silence. Ma mère sage et prise dans ses pensées. Ma mère au profil si élégant, aux yeux si doux et sur ses lèvres tous les secrets qu'elle ne dit pas, de son passé et de son présent, et les larmes qu'elle cache aussi...

Le jardin s'étendait jusque sur les bords d'une zone de brousse domptée par l'homme et ses machines immenses. Au milieu des herbes hautes qui vous griffaient le visage, se tenait mon ami Rodolphe. Il portait un t-shirt élimé, un short trop large et une paire de sandales qui faisaient un grand U quand il se déchaussait. Je le regardais lever le bras et ouvrir la bouche en prononçant mon prénom. 

Mais je ne marcherais pas avec lui sur la route orange où passent des charettes qui s'affaissent sous le poids de choses improbables, depuis les bidons vides d'essence jusqu'au peaux de chiens caillassés à mort, et sur ces détritus qu'on vend comme de l'or, s'assoient des enfants qui se mettent les doigts dans le nez et regardent vers vous avec une curieuse indifférence.

Je n'irais pas à l'école, du moins j'en ferais la tentative en convaincant le chauffeur de me déposer à la piscine du Méridien où mon père viendra me rechercher. Je verrais sa longue figure onduler sur la surface de l'eau bleue claire, et je resterais là, sous l'eau, les yeux ouverts, les poumons comprimés, à regarder mon père croiser et décroiser les bras, attendre que je veuille revenir des profondeurs légères de cette piscine carrée et vide.

Sous l'eau mes doigts deviennent aussi frippés que ceux d'une vieille. Mes cheveux virent au vert à cause des produits chimiques qui sont déversés chaque jour par petites doses de liquide fluorescent enfermé dans des bouchons en plastique.
Je fais la planche, le corps en croix, bercée par l'absence de gravité. Je dérive contre les rebords de cette piscine qu'on dirait abandonnée, un Lundi de printemps, et mon père me laisse là et va boire une bière, indifférent.

Je gonfle mes joues d'eau que je recrache en me prenant pour une fontaine. Je fais le poirier. Je fais des longueurs en brasse, en crawl, en papillon, en indienne, en me jurant que je resterais dans ce grand bain, le plus grand de ma vie, jusqu'à ce que le soleil se couche.

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